Cela fait un moment que ça me travaille, mais je n’avais jamais vraiment réussi à poser des mots dessus. Et puis, comme d’habitude, au hasard de mes pérégrinations virtuelles, je suis tombé sur une énième polémique féministe… engagée par un homme.
Je me souviens, il y a quelques temps, d’un article lu sur le sujet : la place de l’homme dans le féminisme. Et il m’avait à la fois éclairé et en même temps conforté. Eclairé parce qu’il posait enfin un point de vue féminin sur la place que les individus masculins pouvaient prendre dans un combat de femmes, mais aussi conforté parce qu’il m’avait semblé mettre le doigt sur un type de comportements qui me dérangent depuis bien longtemps de la part d’hommes que je qualifierai de féministes exaltés. Dans cet article, c’est bien de ces individus dont je vais traiter.
Anatomie d’une exaltation
Le féministe exalté, qu’est-ce que c’est ?
En réalité, on en a tous croisé, que ce soit sur le net ou dans la vie. Ce sont ces hommes qui prennent fait et cause pour les femmes de manière si extrême qu’ils en sont à voir le mal dans tout ce qu’ils peuvent regarder. Souvent plus que des femmes aux convictions bien affirmées et carrément militantes.
On les distingue souvent par un excès de zèle. Tout est critiquable, tout est critiqué, et tout es analysé sous le même angle d’attaque : SEXISME. Une femme est mise en valeur dans une photo, on voit la courbe de ses reins ? Sexisme ! Une femme est montrée sur une affiche enlacée par son homme à l’allure un peu trop possiblement protectrice ? SEXISME ! Un homme annonce que le repas que sa femme lui a préparé pour son anniversaire était délicieux ? SEXISME ! (oui j’exagère le trait, mais c’est l’idée).
L’effet secondaire de cet excès de zèle est une propension à prendre la parole au nom de la masse opprimée de manière tout à fait démesurée. Il hurle, s’indigne et vocifère à qui veut l’entendre sur tous les médias à sa disposition. Il entretient des blogs, inonde facebook de statuts révoltés, tweete à tous son indignation, commente statuts et tweets à tout bout de champ… Il occupe l’espace, beaucoup, énormément. Et quand il a accès aux médias de masse, il en profite : il prend la place, il l’occupe, il prend la parole au nom d’un combat qu’il a fait sien. Il occupe, occupe, occupe encore, et surtout… surtout… il ne souffre pas la contradiction.
Son exaltation l’amène en effet à détester qu’on le contredise. Il s’épanouit dans la polémique mais pas dans le débat. En réalité, toute forme de débat argumenté se termine invariablement par la conclusion suivante (en filigrane, évidemment) : si tu n’es pas d’accord avec moi, tu es contre nous (les féministes), contre l’émancipation des femmes et contre l’égalité des sexes. Et par ricochet, tu es rétrograde, réactionnaire, un outil du patriarcat, j’en passe et des meilleures.
Un combat qui n’est pas gratuit
A première vue, combattre pour la cause féministe, venant d’un homme, cela peut paraître tout à fait noble. En effet, comment reprocher à un homme de prendre fait et cause pour les personnes qui reprochent aux hommes (au sens de groupe social, et non d’individus) de jouir de privilèges issus du patriarcat ? Oui, comment ? Qui oserait remettre en cause la légitimité d’une telle prise de position ?
En réalité, d’une certaine manière, le féministe exalté est un peu à l’image du « gentil garçon », c’est avant tout quelqu’un qui désire se faire bien voir. Oui, je sais, on va me dire que je fais de la psychologie de comptoir, mais en réalité tout ce que sous-tend le discours de ces personnes (comme par exemple la magnifique association « Zéro Macho ») c’est « nous, nous sommes des hommes bien ». D’une certaine manière, ce faisant, ils s’achètent une image, une conduite, une légitimité auprès des femmes. Ils sont bien, ils sont gentils, ils se battent pour elles… ce sont des chevaliers servants, des sauveurs, et surtout ce sont des hommes BIEN. Eux, au moins, sont respectueux.
Mais comme tous ces gens « qui veulent du bien » en occupant le terrain d’une cause qui ne les concerne pas directement (mais indirectement, puisqu’ils ne sont pas les victimes premières du patriarcat mais, comme tous les mâles, les bénéficiaires), ils tombent alors dans la bienveillance paternaliste. Ainsi, non contents de regarder d’un œil désapprobateur tout homme qui leur opposerait une opinion contraire, ils se permettent aussi de juger les femmes qui ne sont pas d’accord avec eux. Mais au lieu de les répudier, ils les regardent comme des victimes consentantes.
Mais alors on ne peut pas être un homme et féministe ?
Voilà la grande question : quand on est un homme et que l’on se sent en résonnance avec le féminisme, on ne peut pas se battre ? En quoi est-ce problématique de faire entendre sa voix ? En quoi est-ce problématique de parler de ses convictions ?
La première chose que l’on peut se dire, c’est que soutenir ouvertement le féminisme en tant qu’homme, c’est aider à lui donner du poids. C’est de se dire que prendre la parole c’est lui donner plus de résonnance, plus de portée. Et pourtant…
Pourquoi pas, en effet, l’idée est séduisante… mais aussi très paternaliste. Le problème n’est ni d’avoir une opinion, ni de l’exprimer, mais bien de savoir trouver sa place, la place juste, dans ce combat là. Prendre la parole pour les féministes, depuis sa position d’homme, c’est avant tout prendre la parole des féministes. Comme tout combat, comme toute lutte, il est nécessaire de laisser la juste place aux personnes directement concernées par le combat. Et leur juste place, c’est à la tête du combat.
Le problème n’est pas de prendre la parole per se, mais de savoir accepter que nous ne sommes pas les portes drapeaux, les têtes de proue, de ce combat. Nous ne pouvons en être légitimement que les soutiens. Ce que n’ont pas compris ces exaltés, c’est qu’en prenant la parole au nom de ce combat, ils parlent d’une position de dominants, pas de dominés. Ils ne sont pas des chevaliers blancs. Ils ne sont pas des révolutionnaires. Ils sont, souvent, des moralisateurs. Qui font la morale d’un côté aux hommes, mais de l’autre côté aux femmes, et qui tentent, consciemment ou non, de prendre la place de « lead » dans ce combat, place qui ne devrait pas nous être réservée. En cela, à mon sens, des associations comme Zéro Macho (surtout quand on commence à les inviter sur des plateaux télé) font bien plus de mal que de bien. Et l’attitude de leur représentant public, Patrick Jean, est très symptomatique du féministe exalté. Allez donc lire quelques échanges entre Morgane Merteuil et lui, par exemple. Bien que la demoiselle soit parfois assez piquante et cinglante, d’aucun diront virulente (mais on peut le comprendre quand on voit la manière que les gens ont de la discréditer « parce qu’elle n’est pas représentative », drôle de position de la part de personnes qui ne sont, elles-mêmes, pas représentatives), les réponses qui lui sont faites sont un exemple parlant de cet état d’esprit… Du paternalisme.
Pour reparler de l’article que j’ai lu et que je citais au début de ce texte (et je suis désolé pour l’auteure du texte si je ne me souviens pas de son pseudo, si je le retrouve j’éditerai avec un lien), je me souviens de la substance de son texte que j’avais trouvé très juste et que l’on pourrait paraphraser de la sorte : « votre place dans le féminisme, c’est celle que l’on veut bien vous laisser. » Effectivement, si l’on doit se sentir concernés, faisons-le avec elles, à leurs côtés. Mais pas à leur place.
3 réponses à Mais je suis féministe, moi !