« De quoi t’as peur ? »

« De quoi t’as peur » qu’il me dit. Qu’il me dit en me proposant de faire l’amour, sans capote.

 

C’est vrai ? De quoi avons-nous peur, au fond, nous pauvres âmes rincées à ce matraquage hygiéniste permanent ? Les grossesses ? Oh ! On se retire et au pire, on a la pilule du lendemain. Si ça ne résout rien ? L’IVG pardi ! Une formalité. Quoi ? Quoi le Sida ? Mais c’est un truc d’Afrique Subsaharienne ça. Il y a d’autres IST ? Comment ça, d’autres IST ? Ouais mais genre la syphilis c’est un truc de poète maudit du XIXè.

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« T’es parano. Je suis sain-e. Je suis safe. Tu peux me faire confiance. »

Non. Non, pauvre inconscient-e. Je ne peux pas te faire confiance. Tu es irresponsable. Foutrement dangereux-se même !

Je ne te connais que trop, toi, l’amant(e) avec une moue tendre, un regard langoureux, un râle lubrique qui me propose de « faire sans ». Pour sentir. Pour être en totale communion. Pour ne plus faire qu’un, et autres fadaises rebattues que tu me rabâches dans le but de faire sauter la capote.

 

Combien de fois ai-je été confrontée à cet amant (Ici June, meuf hétéro RPZ mais je promets que je n’exclue personne, je parle via mon prisme. Cœur sur vous les LGBTQ <3 Ce post concerne tout le monde) qui minaude, implore, fait carrément du chantage affectif pour obtenir du bareback* ?

 

J’en ai connu des amants qui pensaient que le retrait était une méthode de contraception efficace. Des ami-e-s aussi, des connaissances. J’en ai lu de ces conneries.

 

Combien de fois ai-je dit : « Je n’ai pas fait de test depuis x mois, on ne se connaît pas » en ayant pour toute réponse : « Pas grave, je te fais confiance. »

Combien de personnes se sont vexées parce que je ne leur accordais pas une confiance aveugle et irraisonnée ?

Plus que je ne peux désormais le tolérer.

Je ne parle pas ici de gens inéduqués, naïfs, paumés ou ignorants. Je ne parle pas de jeunes ados à qui on n’a pas parlé de sexe. Je parle d’adultes. Plus âgés que moi, souvent. Parents, parfois.

 

Mais si ce n’est pas de l’ignorance, qu’est-ce alors ? Egoïsme, connerie, orgueil, désinvolture, insouciance ou mauvaise foi ? Un cocktail de tout cela.

On cherche à se distancer des soucis, du glauque, du dérangeant. De l’échec.

Comment nous, petits Européens surpuissants, ayant contrôle sur tout, ayant dépassé le faible corps pour n’être plus qu’un esprit, pouvons-nous accepter d’être domptés par la chair ?

Nous ne l’acceptons pas. Nous nous voilons la face. Cela n’arrive qu’aux autres, nous sommes insubmersibles. Comme le Titanic…Oh, wait !

 

Le Sida existe. Les hépatites existent. Les IST aussi. Les grossesses non désirées ? Affirmatif Caporal. Les IVG qui se passent mal, aussi.

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Le sexe devrait être avant tout du plaisir et non pas un acte aseptisé à coup de latex me direz vous? Et les draps des hôpitaux, leurs murs, leurs corridors, ne sont-ils pas aseptisés ? Quoi ? J’exagère ? Avez-vous déjà subi une trithérapie ? Avez-vous déjà connu quelqu’un qui a claqué du Sida ? Moi oui. C’est pas très drôle, ça n’a rien d’anecdotique. Ca prend aux tripes et ça tord. La trithérapie, au sens littéral. C’est très douloureux. (Je vous raconterai l’histoire de la trithérapie préventive si vous êtes gentils, un jour).(Maman si tu me lis je vais bien <3)(Chiale pas, je vais bien j’te dis).

 

Alors certes, ce sont les aléas de la vie : les capotes craquent, les pilules foirent, le stérilet nous lâche…Ce n’est pas blâmable. Non. Jamais. On n’est jamais à l’abri d’un incident. Nous avons le droit à l’erreur.

 

Parfois l’on est très excité-e, on vit un moment à part, on ressent trop d’amour, trop à donner. On est trop défoncé-e, trop saoul-e, trop exalté-e. On ne sait plus trop bien où on est. Ca arrive, de perdre le contrôle. Nous sommes tous faillibles. Mais ce n’est pas ce dont je parle ici.

 

Je parle ici de la décision sobre, lucide, de mettre sa santé en danger et celle de ses partenaires actuel-les et futur-e-s. Je parle ici de faire un truc d’abruti-e fini-e en toute conscience.

 

Les gens sont libres, certes. Libres de baiser sans capote. Libres de s’infecter. Mais, les autres ? Les autres n’ont pas à pâtir de leur inconscience. Comme je le dis souvent « Dude, que tu te foutes de ta santé n’implique pas que je fasse de même avec la mienne. »

 

Les IST, par exemple ce sont des boucles.

 

Illustration par l’exemple scolaire : A a le Sida. A baise avec B, sans capote. B ne choppe rien. Lucky B. A fait l’amour avec C peu après. Bareback. C est désormais porteur-se du VIH. C rencontre D. Ils/elles sont amoureux-ses. Ils abandonnent la capote. C dit à D qu’il/elle est safe. D le/la croit. D choppe le Sida.

B a eu de la chance. B a joué à la roulette russe du sexe. C aussi a joué. C a eu moins de chance. Et C a contaminé quelqu’un. On peut jouer à la roulette russe avec sa vie mais on laisse celle des autres en paix.

 

Cet exemple est très bien illustré par « Kids » de Larry Clark, que je recommande chaudement d’ailleurs.

 

Oh et pour faire plus simple : la personne qui vous dit qu’elle est clean a sûrement déjà dit ça à une, deux, quinze autres personnes. Les germes de plusieurs personnes inconnues dans le corps de quelqu’un en qui vous avez confiance, ça reste des germes inconnus. HEIN OH EH. Pour ceux du fond qui suivent pas.

 

Alors s’agit pas ici de culpabiliser les personnes séropositives, ayant contracté des IST, les femmes ayant avorté ou les jeunes parents. Jamais. Déjà, qui sommes-nous pour juger ? Ensuite, une IVG, une grossesse non désirée ou le Sida ne sont pas une fatalité. On se remet d’une IVG. On en souffre parfois, ça dépend des femmes. Parfois on est juste soulagées et hop, la vie suit son cours. On peut très bien vivre en étant séropositif, avoir une vie amoureuse et sexuelle sereines. Un enfant non désiré peut faire la joie de ses parents. On se remet souvent d’une hépatite.

Mais voilà, parfois, ça se passe mal. On souffre, on crève à petit feu, on est traumatisé-e, on vit avec un enfant que l’on n’aime et ne supporte pas…

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Il s’agit ici de vous (se) rappeler que nous sommes faillibles donc vulnérables. Que l’on ne vit pas tout toujours bien. Que l’on ne se remet pas de tout. Que l’on est que de la peau et un petit peu d’eau.

 

Si l’on peut se délester de quelques épreuves, pourquoi ne pas s’en donner les moyens ?

 

Messages aux « allergiques » à la capote : cessez de vous croire intouchables. Cessez de vous dire « C’est juste une fois ». Il suffit d’une putain de fois. Ne vous croyez pas plus forts que les autres, vous ne l’êtes pas.

 

Halte à la pression. Halte aux demandes insistantes. Halte au chantage affectif. Halte à la connerie.

 

Vous aimez les autres ? Vous aimez faire l’amour/baiser/forniquer/vous ébrouer ? Faites-le bien. Prenez soin de vous, prenez soin des autres.
Protégez-vous. Protégez-nous.

 

*bareback : sexe pratiqué sans capote. Avouez qu’en Anglais c’est plus court.

 

(Je sais que j’ai parlé de capote et de safe sex il y a peu mais j’ai entendu/lu trop de bullshit ces derniers jours pour rester stoïque et laisser passer.)

(Je ne veux pas créer de panique générale ni de prises d’assaut des centres de dépistages mais bon, soyons sérieux deux secondes et cessons de nous esclaffer quand on parle d’IST et d’IVG.)

Source Images : Kids de Larry Clark, Site de l’INPES, BD Soeur Marie-Thérèse (Fluide Glacial)

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