dominationParfois, il m’arrive de lire des trucs qui me font bondir. Récemment, c’était en lisant un article de Madmoizelle… ou plus précisément, la page que l’article en question commentait. Pour celles et ceux qui n’ont pas tout suivi, il s’agissait du site « Séduction by Kamal » qui expliquait à ces messieurs en quête de conseils sexuels comment approcher une femme pour lui donner du sexe, du hard, du vrai de vrai, du viril, qu’elle va avoir mal mais en redemander. En gros, comment dominer sa partenaire, mais dans un mode à la limite du film porno. L’article (retiré depuis par son auteur1) abordait un sujet délicat, intéressant, et ce d’une manière totalement inappropriée, pétri de conseils qui ne permettaient pas de l’approcher avec sérénité.

Je préfère être clair, cependant : dans cet article, ce que nous nommerons « Domination » n’est pas la pratique liée au BDSM. Il s’agit de répondre à la notion de domination telle qu’énoncée dans l’article de Jean-Baptiste Marsille, dit JB (voir le lien en bas de l’article).

Domination, ça sonne presque comme un gros mot. Quand on en parle, certains (et certaines) ont immédiatement l’image d’un rapport entrepris dans la violence et l’irrespect. Parlez un peu de « rough sex » ou de « dirty talk » (oui, j’aime les anglicismes) à quelques personnes et vous aurez la plupart du temps des réactions pouvant se classer dans trois catégories :

  • « Ouais c’est sympa/ah oui j’aime bien/oh c’est pas mon truc mais tout le monde fait ce qu’il veut »
  • ou « Mais enfin, c’est un manque de respect pour ta partenaire. C’est horrible. Tu la tiens à ce point dans une sale estime ? »
  • ou enfin « ouais je vais la baiser comme une salope elle demande que ça »

Si la première réaction ouvre à la discussion (ou pas, selon les sensibilités de chacun(e)), la seconde démontre bien à quel point le terme même de domination et tout ce qu’il entraîne est associé à quelque chose d’irrespectueux et de mauvais, de socialement inadapté et, oserais-je le dire, de peu consensuel. Quant à la troisième, cela doit à peu près correspondre à l’état d’esprit de ceux qui ont encensé l’article disparu de « JB », coach en séduction qui en a plus appris en un article sur « comment se passer du consentement d’une fille » que sur la domination en elle-même.

Alors toi, oui toi, jeune homme avide de nouvelles expériences et de te sentir viril… toi, qui te demande comment qu’on fait pour être l’homme au pieu… cet article s’adresse à toi (non, pas que… il faut pas déconner, ça peut aussi s’adresser à toutes et à tous, hommes, femmes, hétéros, gays, lesbiennes, pansexuelles, et plus encore…2). Et la première chose que tu vas apprendre, c’est que la domination, ça ne sert pas à se sentir viril et fort et puissant. Ca ne sert pas à compenser son complexe d’infériorité ou je ne sais quoi… et ça ne sert surtout pas à « se la faire cette salope, elle va hurler, elle en crève d’envie ! »

La première idée reçue à laquelle il faut tordre le cou, c’est que dans la domination, le dominé mène le jeu. Car oui, messieurs, dans la domination, c’est bien la soumise qui mène la danse. Il s’agit avant tout un jeu entre deux partenaires. Et la règle première et inviolable de ce dernier, c’est le consentement. Ça n’est pas parce qu’on est dans un jeu de domination avec sa partenaire que l’on se passe de son consentement. Surtout pas. Un non reste un non, à moins de vouloir mener sa relation à la catastrophe, Titanic style !

Il existe un fantasme commun qui voudrait que les femmes qui disent non disent en réalité oui, et encore plus avec un homme qui les domine (un vrai, un viril, nous dirait JB). En réalité, les choses sont bien plus complexes que cela. Quand les partenaires se connaissent, sont complices (la complicité dans le sexe étant une condition sine qua non à une partie de jambe en l’air de ce genre réussie), ils peuvent « jouer » sur le non/oui. Ce jeu peut faire partie d’un schéma établi entre les deux partenaires consentants. Dans ce schéma, le non, le ferme, celui qui veut dire stop, aura souvent été explicitement établi par l’un et l’autre. Parce que même dans un couple consentant et ayant l’habitude des galipettes à deux et des jeux érotiques, oui oui oui, on peut aussi dire non.3

Mais alors qu’en est-il dans la séance virile et dominatrice telle qu’exposée par JB ? (c’est à dire lors d’une rencontre d’un soir vite expédiée sous la couette à coup d’habits déchirés et de soutien-gorge arraché, de sexe hard sous des gémissements pleureurs d’abord, puis emplis de jouissance ensuite)

domination 2

La domination, ça n’est certainement pas une démonstration, une manière de clamer haut et fort : « who’s the boss ». Je le répète, mais ça ne fait jamais de mal, c’est un acte consenti par les deux parties. Et quand on est avec quelqu’un avec qui l’on n’a jamais pratiqué, et avec qui on n’en a pas parlé, c’est bien évidemment la prudence qui s’impose. Non, toutes les femmes n’aiment pas ce type de rapport. Mais surtout, il ne s’agit pas non plus du fantasme de la majorité des femmes de cette terre. Ce sont des désirs individuels, des envies, des tendances… et comme toute envie et tendance sexuelle, elle est éminemment personnelle.

Et quand bien même une jeune femme a aimé cela avec un homme donné, cela ne veut pas dire qu’elle l’aimera avec tous. Partir de ce principe est aussi aberrant que de penser que parce qu’une femme a décidé de coucher avec une foultitude d’hommes, elle couchera avec tous les hommes qui passeront à sa portée. Le mythe de l’actrice porno nymphomane et prête à tout a encore de beaux jours devant lui mais il tient de la bêtise crasse.

Mais revenons à nos moutons.

Or donc, aborder une « séance » de domination, avec une jeune femme que l’on ne connait pas et/ou qui n’a jamais pratiqué, c’est bien plus compliqué que de lui arracher ses vêtements et de la prendre sauvagement en la traitant de salope.

La domination, cela s’approche doucement, petit à petit, progressivement, avec une écoute permanente de sa partenaire. L’écoute, c’est ça qui est important. Dominer, ça n’est pas simplement prendre ce que l’on veut. C’est donner la sensation à l’autre que l’on prend et que l’on domine sans jamais dépasser ses limites à elle, et sans jamais outrepasser son acceptation. Et c’est pour cela que, quand on ne connait pas la jeune femme, si elle dit non, dans le doute, on arrête. Il n’y a pas de mais, il n’y a pas de « elle veut peut-être dire oui ». Non, c’est non. Voilà ce que JB omet d’expliciter, voilà pourquoi certains pensent que son article était une incitation au viol et, d’une certaine manière, à raison.

J’en entends déjà, au fond là bas (quoique, vu le focus du site, je ne suis pas sûr que ceux-là arrivent jusqu’à cette page) qui parlent de cette fois où « oui mais elle a dit non et puis j’ai arrêté et en fait elle m’a demandé « mais tu fais quoi ? » parce qu’en fait c’était pas un non. » Vous, là, si vous avez arrêté, vous avez bien fait. Point barre. Si ça coupe l’élan, tant pis, mieux vaut ça que ruiner une vie (parce que oui, un viol, ça ruine une vie… si si, je vous jure).

Finalement, la domination c’est comme tout acte sexuel nouveau : on essaie petit à petit. On cherche à découvrir l’autre et à se découvrir à l’autre, alors on tente des trucs, on voit ce que chacun aime, et ce que chacun n’aime pas. La poigne se fait plus ferme, les gestes plus affirmés… on prend le temps de voir si la montée en tension s’opère. On écoute le comportement de sa partenaire et on s’arrête là où cela devient inconfortable. Patience est le maître mot. Rien de pire (JB, si tu me lis) que de conseiller d’y aller comme une brute d’un coup pour faire valoir son statut. Je le redis, la domination, c’est un JEU. Et un jeu à DEUX. On n’est pas en prison, bordel !

A la fin, peut-être que vous serez allé jusqu’au sexe hard (comme le préconise Kamal) ou peut-être pas… peu importe, vous serez allé jusqu’au point que tolère votre partenaire dans l’instant.

Tu l’auras donc compris, apprenti dominateur : contrairement à ce que l’on tente de te faire croire sur certains site douteux, la domination n’est pas là pour affirmer ta virilité, montrer « qui c’est le bonhomme » et « qui c’est qui décide ! ». Mais ça n’est pas non plus manquer de respect à sa partenaire. Comme la pratique se base sur la confiance et la complicité, il ne s’agit que de faire monter l’excitation de manière un peu « dirty », de s’exciter mutuellement en allant chercher des sensations un peu dures, mais jamais dans la violence. Et pour moi, c’est là que l’article de JB est problématique : il est phallocentré. Il ne se préoccupe que de ce que l’homme doit faire en nous rabâchant des poncifs dangereux (comme le fait que bien de femmes fantasment de se faire prendre violemment par, je le cite approximativement, « un chibre géant »… je pleure du sang à la lecture de ces mots). Or, le minimum de bon sens nous fait réaliser que le sexe n’est pas phallocentré, du tout. ²

Et puis, on ne peut pas tenter ce genre d’expérience avec n’importe qui… et ce même si la jeune femme en parle comme d’un fantasme au détour d’une conversation. Le fantasme, le vrai, a ça de terrible : il peut tout concerner, mais n’appelle pas forcément à réalisation. Ca n’est pas parce qu’une personne fantasme de faire des cochonneries avec une bite d’amarrage qu’elle va, en effet, tenter d’en faire dans la réalité. Il en va de même pour la domination/soumission… Et si c’est un réel fantasme, elle est capable d’exprimer d’une manière ou d’une autre son envie de le réaliser. Je sais, jeune apprenti, tu as été nourri dans l’idée que la femme n’exprime pas vraiment ce qu’elle veut… on le dit, les hommes viennent de mars (pour faire la guerre) et les femmes de vénus (pour faire l’amour ! Mais c’est bien-sûr ! Oh wait…). Bullshit ! C’est le seul mot qui me vienne à la bouche.

En bref, si je devais résumer les principes qui sous-tendent la domination sous les draps (ou sur le canapé… ou le tapis du salon… ou ailleurs, ne soyons pas sectaires), j’emploierais les mots « respect, écoute, patience, complicité »… et je parlerai aussi de générosité… un peu comme pour le sexe tout court, finalement.

La domination, c’est comme tout le reste : ça ne marche que si les deux le veulent bien. Ca marche si c’est une envie, un besoin, un désir réel des deux partenaires. Dans tous les autres cas, si l’une ne consent pas à cela avec l’autre, c’est une agression. Et ça, c’est pas Mâle, mais qu’est-ce que c’est Mal.4

 

 

 

1L’article incriminé a disparu mais est toujours disponible à cette adresse : http://dikecourrier.files.wordpress.com/2013/08/comment-bien-violer-une-femme-par-seduction-by-kamal-kay-et-jb-marsille.pdf

² Cet article, il est vrai, est très hétérocentré. Pas de mystère là dedans, je suis hétérosexuel et il est plus simple pour moi de parler de cette sexualité-là. Je ne me sentirais aucune légitimité à parler d’une sexualité qui n’est pas la mienne, par peur de ne pas viser juste. Mais je suppose que l’approche des fondamentaux de la domination et du rough sex ne doit pas différer grandement selon son orientation sexuelle. Et quelle que soit cette dernière, le consentement est toujours un préalable indispensable à toute expérimentation.

3 Le terme de « jeu » est une notion importante. Oui, tout cela est, et doit rester, un jeu. Et comme dans tous les jeux, on établit des règles et des limites à ne pas transgresser pour que tout se passe au mieux. Et plus les règles sont explicites, plus on se prémunit des dérapages. Si l’on sait qu’à l’emploi des mots « cucurbitacée turgescent » par sa partenaire, il est nécessaire de stopper net le jeu, on évite toute situation de confusion pouvant mener à un drame personnel.

4 Oui, je sais, c’est vraiment nul comme conclusion. Mais de un, je suis le roi de la vanne pourrie, et de deux, arriver à conclure c’est toujours un calvaire.

5 Oui il n’y a pas de petit cinq mais peu importe. Il est évident que je me focalise ici sur un point de l’article en question. Madmoizelle l’a bien fait : décortiquer son discours pour le démonter sur tous les clichés sexistes qui le parsèment. Le but de l’article ici présent reste bien de parler un peu d’une pratique évoquée par le sieur JB en dépit du bon sens.

Une réponse à La domination, c’est le mâle… euh… mal !

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