J’ai la rage, si vous saviez. Une rumeur sourde qui gronde depuis mon ventre et remonte jusqu’à la trachée. J’ai envie de vomir. Il faut que j’arrête de lire des témoignages de victimes de viol. Maintenant. Sinon je vais crever. Je ne comprends pas. Cette violence. Ce mépris. Cette haine. Et je ne comprends pas ma chance. Je ne comprends pas pourquoi je n’ai pas été violée aussi. Toutes ces situations, je les ai vécues. La fin de soirée chez des inconnus, la ruelle sombre, le cousin qui dort à poil à côté de toi…C’est ma vie, aussi. Sauf que dans ma petite existence tranquille, le viol n’a jamais eu lieu. Ni les attouchements. Rien. On ne m’a fait aucun mal. Et pourtant, pourtant je n’arrête pas de me dire « Ca aurait pu être moi. Cette fille, c’est moi. Je suis elle. Pourquoi ai-je de la chance et pas cette nana ? Pour combien de temps encore ? ».

Le viol c’est une bombe à retardement. On te le présente comme tel dès ta plus tendre enfance. On te dit « Ca peut arriver, ça risque d’arriver ». Je fais le décompte, vous savez. 19 ans sans viol. Je m’estime heureuse. Privilégiée.

Alors que je devrais me dire « J’ai une vie juste. »

Et pourtant, j’ai envie de dire merci à tous ces types qui ne m’ont pas violée. Merci de ne pas céder à ce formatage immonde qui présente les femmes comme des objets. Merci de ne pas se laisser être des affreux connards parce que notre société couvre ce genre de crime.

Je n’ai pas à leur dire merci. Mais je le pense. Je le pense parce que je réalise à quel point je suis bien entourée. A quel point je suis naïve dans ma sexualité. Je fais confiance. Je ne me surprotège pas. Je suis souvent dans les situations que des pourritures appellent « A risques ».

 

Et je crois que j’ai besoin de les relater, ces situations, justement.

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Je pense à cette fois où je faisais l’amour avec un ami qui m’est très cher. En pleine levrette , il s’arrête, me caresse les fesses avec son sexe et me demande si j’ai envie d’une sodomie. J’ai envie. On essaie, j’ai mal. On arrête. Il ne l’a pas fait exprès mais j’ai eu vraiment mal. Il est navré. On se câline et on fait l’amour à nouveau. Il n’a pas retenté de me sodomiser. Il s’est arrêté. Il s’est inquiété. Et surtout, surtout il a demandé, avant.

Il y a cette fois où très saoule, je fais l’amour avec mon ex. A côté d’un type que je connais à peine, qui roule un joint. Dans le noir. On trouve ça drôle comme situation. Le mec nous parle, on kiffe notre andromaque. La bonne soirée un brin trop arrosée. Puis le type passe sa main dans mes cheveux. Je l’arrête tout de suite : je baiserai pas avec. Mon ex et moi lui demandons de partir. Mon ex n’a pas dit « Oh ça va, on rigole ». Le type n’a pas insisté. Il ne m’a pas violée. Mon ex ne l’aurait pas laisser me violer.

Ce soir où je dînais avec cet homme charmant. Rencontré dans un bar, embrassé. Je l’avais invité chez moi cette nuit-là et il n’avait pas pu. On se retrouve quelques jours plus tard pour ce fameux dîner chez moi. La soirée avance. Je l’aime beaucoup mais je n’ai plus du tout, du tout envie de lui. Il se rapproche à un moment, me caresse le cou. Blanc. Froid. Je lui dit d’une petite voix «En fait non, j’ai plus envie. Euh, voilà ». S’ensuit la discussion la plus gênante de ce dernier quart de siècle. Malaise. Gros malaise. Il part. J’ai presque envie de lui dire de rester parce que je l’aime bien «en tant que pote » mais réalise que c’est cruel. Bref, il se casse sans demander son reste. Pas comme ces autres qui réclament leur « dû ».

Cette autre fois, je suis dans un lit avec un ami. On se masse. On dort presque en cuillère. Il me demande si j’ai envie de lui. Je ne sais pas trop. Je suis dans ma période « Faut vraiment que j’arrête de coucher avec mes potes ». Je dis non. Il ne me touche plus. Un peu plus tard, j’ai envie, en fait. Je lui dit. On fait l’amour. Et c’est trop bien. Il ne m’a pas dit « Tu m’as invité à dormir chez toi et je t’ai massée, assume ». Il n’a pas insisté. Il n’a pas eu de gestes déplacés. Il attendu mon consentement. Je ne l’aurais pas donné, il attendrait encore (ou il aurait adopté un chat).

Je me rappelle de cette soirée où ça a fini en plan à plusieurs. De ce type que je n’avais pas envie d’embrasser ou de toucher. Qui ne m’a pas embrassée. Ni touchée. Et qui finalement, est parti, se sentant « de trop ».

Ces potes avec qui j’ai dormi, en culotte, éméchée ou non, après les avoir massés ou non, qui savent que j’ai une vie sexuelle assez rocambolesque et qui jamais n’auraient utilisé ce prétexte pour me violer.

Mon cousin qui m’a tenu dans ses bras il y a peu, saoule, en string, mes seins contre ses bras. Et avec qui on a parlé féminisme, sexualité et place du corps dans notre société dans ce lit, à moitié à poil l’un contre l’autre. Cet homme, cet amour, qui s’est insurgé avec moi sur ce bouquin dégueulasse qui érotisait le viol.

Les amis de mes parents, qui m’ont gardée, douchée, bordée et ne m’ont jamais touchée. Qui m’ont choyée. Aimée comme une enfant et non pas comme un objet sexuel.

Ce pauvre mec avec qui j’ai couché, qui était un con fini, sexiste. Qui a vu que j’avais un peu mal et m’a demandé si je voulais qu’on arrête ou pas. On n’a pas arrêté car j’avais encore envie mais on aurait pu. J’ai eu le choix. Heureusement tiens !

Et ce moment glauque, terriblement glauque. Premier contact avec un pénis. J’ai envie de ce type, il est cute. Mais je ne parle pas très bien sa langue, je suis vierge et je le connais à peine. On s’embrasse, se caresse, il me fait toucher son sexe. Une fois. Je retire ma main, gênée. J’en ai envie mais je n’ai pas envie qu’on me force. Il faut me laisser le temps. Il réessaie. Là je lui dis que non, « Ne me force pas ». Alors, il ne me force pas. Ce mec me demande si je sais ce qu’est une fellation. Je lui dis que oui mais qu’il n’en aura pas. Il se résigne et on continue à se peloter. C’est glauque, raconté de cette manière. Mais j’étais consentante tout du long. Un peu apeurée, gauche mais consentante. J’aurais pu partir. J’ai choisi de rester. Même si je reconnais qu’insister est une pression et peut être une agression sexuelle. Ce n’est pas le cas ici.

Oh et tiens, encore une soirée arrosée (je jure que je me modère haha) ! Cet ami que je désire depuis longtemps, que j’embrasse, que je caresse et qui me dit « Oui j’ai envie de toi mais j’ai pas envie que tu regrettes demain matin vu que tu as bu. T’es sûre, tu veux ? ». Demander à quelqu’un de soûl s’il a envie d’une relation sexuelle avant qu’elle ne se produise, c’est une base. Une base.

Cette soirée de lycée où j’ai goûté pour la première fois à de la beuh. Je devais avoir 16 ans. Ma pote et son mec partent un moment. Je suis entourée de deux types d’une vingtaine d’années. Je suis « défoncée » et euphorique. Je parle de sexe. On rit, on fume. Ils ne me touchent pas. Ne me draguent pas. Se comportent avec moi comme avec un être humain et non pas comme un orifice sur pattes.

 

Je pense à mes fois. A toutes ces fois sereines, douces, paisibles. Et d’un coup, mon cœur se serre : toutes ces fois où d’autres hommes ont osé sur d’autres « moi ». Ont franchi cette limite. N’ont pas demandé, n’ont pas écouté. Ces fois où ils ont cru pouvoir ôter à quelqu’un sa dignité, sa volonté, son statut d’être humain. Toutes ces excuses qu’ils se sont trouvées. Toutes ces atténuations. Tout ça, tout ce marasme infâme, toute cette hypocrisie…Tout ça vole en éclats avec ce que je raconte ici.

 

Ces anecdotes prouvent que l’on peut choisir d’être une personne intègre, que l’on se contrôle. Le viol n’a aucune excuse. Si mes amis, amants, connaissances m’ont respectée, vous le pouvez tous. Tous. Sans aucune exception. Je ne dois plus avoir à me dire « J’ai eu de la chance. » Ce n’est pas vrai. J’ai la vie que je mérite. Et que chaque personne mérite.

 

Une vie sans crime sexuel. Sans honte, sans mépris, sans souvenirs qui reviennent comme des claques en plein visage.

 

Nous méritons toutes et tous le respect. Jusque dans notre chair. Le viol sera toujours un crime. Le consentement est primordial. Il n’y a que des fausses excuses et des vrais connards.

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Je remercie donc mes hommes qui aujourd’hui m’aident à prouver que ces situations « où l’on se met en danger » n’existent pas. Ce sont les autres qui nous mettent en danger. Voilà ceux qu’il faut blâmer. Exposer. Emprisonner.

J’aimerais que toutes les femmes et tous les hommes puissent écrire ces lignes à ma place.

 

PS : Je sais bien que je ne parle pas de victimes masculines. Je parle de mon point de vue en tant que femme biologique et surtout, nous ne pouvons occulter le fait que le viol reste avant tout un crime sexiste. 90% des violeurs sont des hommes. 80% des victimes sont des femmes. Il ne s’agit pas d’une coïncidence et la peur du viol est beaucoup plus ancrée chez les femmes. Je ne minimise en aucun cas les conséquences de violences sexuelles chez les hommes. J’invite d’ailleurs mes amis les mâleuh à s’exprimer sur le sujet.

 

Images : http://everydayfeminism.com, page Facebook de SlutWalk France.

5 réponses à Tu ne violeras point.

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